Une soixantaine d’enfants français exclus de l’école publique française au Maroc

Depuis le 7 juin, plusieurs dizaines de parents français et parents d’enfants français, installés dans le grand Casablanca vivent un cauchemar les yeux ouverts : leurs enfants n’ont pas obtenu de places à l’école publique française pour la rentrée prochaine. Ce sont essentiellement des familles issues de la classe moyenne installées au Maroc avec des contrats locaux qui souffrent de cette situation.

Après avoir effectué en mars dernier les démarches nécessaires à l’inscription de leurs enfants dans les établissements scolaires gérés directement (EGD) par l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE), le Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) de l’ambassade de France au Maroc a affecté leurs enfants dans le réseau privé qui s’appelle l’Office Scolaire et Universitaire International (OSUI).

Cette décision impose aux familles une double peine : de longs trajets quotidiens pour certains dans une ville engorgée par la circulation, (compter 4 heures de trajet aller-retour pour se rendre à l’école) et des frais de scolarité très élevés (environ 10 000 euros pour une entrée en moyenne section avec les droits d’entrée et les frais annuels, hors transport et cantine).

Doha A., maman d’une fille de 4 ans censée intégrer la MS à la rentrée :

J’ai refusé de manière ferme cette affectation, mon domicile se situant à 70 km aller /retour de l’établissement d’affectation, soit 4 heures de trajet par jour. Où est le bon sens ? Sur quels critères se sont-ils basés pour l’affecter aussi loin, alors que mes voisins ont été affectés à des écoles plus proches. Ma fille sera déscolarisée l’année prochaine, car elle arrive en fin de cursus dans son école actuelle et je n’avais entamé aucune démarche d’inscription parallèle. Mon conjoint et moi, citoyens français, nous sommes fourvoyés en croyant que sa place était acquise au sein des EGD.

Frédéric et Aïcha L., parents d’une petite fille de 6 ans censée intégrer la GS l’année dernière s’insurgent :

Nous éprouvons un profond sentiment d’injustice, car nous avons contribué pendant des années par nos impôts à financer l’AEFE. Et quand nous avons demandé comme c’est notre droit d’y scolariser notre fille, on nous a proposé une école à plus de 3 heures de trajet quand il y en a 4 autres plus proches. Nous avons d’abord cru à une erreur, puis quand nous avons eu la confirmation que c’était la triste réalité, nous avons écrit au SCAC, à l’ambassade et au ministère des affaires étrangères pour demander des explications. Aucune réponse à ce jour à nos courriers, comme si la France était devenue une République bananière… Du coup, nous avons dû scolariser en catastrophe notre fille à l’école Belge où nous payons plus du double ! Nous n’avons plus d’épargne et nous privons de tout pour payer son école. Est-ce normal ?

Alors que faire ? Réunies au sein du Comité des parents Français du Maroc victimes des affectations du SCAC, ces familles lancent un cri d’alerte et appellent au soutien via une pétition en ligne.

Les familles françaises de Casablanca revendiquent pour leurs enfants le droit de suivre une scolarité dans un établissement public de l’AEFE et non privé.

ll faut savoir que les frais de scolarité au Maroc ont augmenté entre 120 et 140 % en l’espace de 6 ans. La majorité des parents dont les enfants sont inscrits dans ces écoles prennent en charge les frais directement. Le mythe de l’expatrié a vécu, il est devenu minoritaire.

C’est pourquoi ces frais ont atteint un niveau intolérable pour de nombreuses familles qui dépendent aujourd’hui des bourses dans le réseau public (compter 1 300€ de frais de première inscription puis entre 2 600€ et 3 100€ par an hors transport, fournitures et cantine par an), mais là encore, les critères d’affectation des bourses sont très opaques, et certains parents exclus ont eu gain de cause devant les tribunaux.

Le réseau privé (OSUI), lui, affiche logiquement des tarifs bien plus élevés (4 500€ de frais de première inscription puis entre 3 500€ et 5 000€ par an). Des associations de Parents d’élèves ont d’ailleurs déjà attaqué l’AEFE pour ces augmentations brutales, alors qu’en même temps la qualité de l’enseignement ne cesse de baisser.

Eric C. père de 3 filles de 5 ans, 7 ans et 9 ans :

Je ne m’attendais pas à ce que mes filles ne soient pas admises dans le réseau EGD (public) comme elles y ont droit, surtout qu’on habite à 5 minutes de l’école publique primaire. Je ne sais pas quoi faire, car je n’ai pas les moyens de payer le privé, surtout que si j’accepte, mes filles ne pourront plus jamais retourner dans le réseau public.

Marie S. maman d’une fille de 6 ans censée intégrer le CP déclare :

Nous n’avons pas les moyens financiers pour assumer de tels frais, et nos revenus nous placent hors barème pour prétendre à des bourses scolaires (lesquelles, rappelons-le, ne sont octroyées que sur la base des tarifs publics dits EGD). En cas de difficulté de paiement des frais exigés, ces écoles n’autorisent plus l’élève à bénéficier de leur enseignement et les radient tout simplement de leurs effectifs. Comme on ne sait pas quels sont les critères retenus pour allouer les bourses, il est hors de question de prendre ce risque.

Les raisons de la colère

Tous ces parents français exclus de l’école publique se retrouvent tous affectés comme par hasard dans le même établissement privé quels que soient leur lieu d’habitation et leurs revenus, en l’occurrence l’école Alphonse Daudet, située dans la ZI de Ain Sebaa qui est encore en chantier et qui va ouvrir bientôt. Le SCAC veut-il le remplir de gré ou de force ?

Au-delà du non-respect du droit octroyé par la République aux enfants citoyens français d’accéder directement à une école gérée en direct par l’AEFE, cette affectation est lourde de conséquences :

1. Une école en chantier où rien n’est aux normes 

La visite de cet établissement lors de la journée portes ouvertes a laissé aux parents un goût amer : une école en chantier, aucun corps professoral visible, et des bus pour le transport des enfants qui ressemblaient à des épaves.

2. Une distance maison/école intolérable pour la plupart

Les écoles relevant de l’OSUI sont généralement excentrées. Dans le cas précis, la situation géographique de l’école impose à certains enfants âgés de 4 à 7 ans des temps de trajet très importants, 4 heures par jour aller-retour.

3. Des frais de scolarité prohibitifs

Les écoles relevant du réseau OSUI imposent aux parents des frais de scolarité très élevés. Pour une entrée en moyenne section à l’école maternelle, il faut compter 10 000 euros pour les droits d’entrée et les frais annuels de scolarité (hors transport et cantine). À titre de comparaison, ce montant est de 4 500 euros dans les établissements EGD.

4. OSUI un jour, OSUI toujours…

Aucun transfert des établissements OSUI vers les établissements EGD n’est possible par le système mis en place localement. Tout élève démarrant sa scolarité à l’OSUI est condamné à y rester jusqu’au baccalauréat, avec les coûts supplémentaires que cela implique…

Aïcha Benabdeljalil, porte-parole du collectif constate :

Le SCAC prend en otage l’avenir et l’éducation de nos enfants avec beaucoup de cynisme et de détachement. Nous n’avons pas d’autres alternatives que les écoles françaises au Maroc, car les autres écoles moins chères sont bilingues français-arabe. Or, nos enfants ne maîtrisent pas l’arabe, sans compter la pédagogie d’un autre âge pratiquée par ces établissements.

Le point sur la situation

Pour les familles françaises établies à Casablanca, le SCAC a franchi la ligne rouge.

Aïcha Benabdeljalil confie :

Ce système existe depuis des années sans que personne au Ministère des affaires étrangères ne s’en émeuve, et encore moins ne s’en saisisse. Nous ne pouvons pas rester sans agir, sans dénoncer l’opacité de ce service public. Aujourd’hui, cette instance (le SCAC), dont personne ne connaît les critères d’affectation, reste sourde et muette à toutes nos réclamations. Nous avons trouvé porte close à l’ambassade. Nous avons juste reçu une réponse standard à nos emails indiquant que nous n’avions qu’à déscolariser nos enfants en attendant l’année prochaine ! Cette fois, nous ne resterons pas les bras croisés et nous saisirons la justice à Paris s’il le faut pour faire valoir nos droits bafoués.

Ces familles indignées ont, de manière collective, refusé l’affectation à l’OSUI et présenté des demandes de réaffectations. Dans l’attente d’un retour du SCAC, elles se sont réunies en comité, le Comité des parents Français du Maroc victimes des affectations du SCAC, et lancent une pétition en ligne, sur le site Change.org. qui a déjà réuni plus de 700 signataires du monde entier, car visiblement le même problème se pose dans d’autres pays.

Une rencontre avec M. Mjid El Guerrab, candidat La République En Marche pour les élections législatives pour la 9e circonscription est intervenue dans son local de campagne le 12 juin à Casablanca.
Lors de cette réunion, les familles françaises ont exprimé leurs doléances et signé une pétition. M.Mjid El Guerrab, désormais député des Français de la 9ème circonscription, s’est pleinement saisi du dossier. Il a notamment remis à l’équipe du Président de la République la pétition du collectif et engagé d’autres actions actuellement en cours.

Photo de Aicha Benabdeljalil

Aïcha Benabdeljalil conclut :

Nous sommes aujourd’hui un collectif de parents indignés, dont les droits ont été bafoués, et qui essaient tant bien que mal d’éviter une rupture brutale dans le parcours scolaire de leurs enfants.

Pour rappel…

“L’AEFE est l’opérateur public qui, sous la tutelle du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, coordonne le réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger. Ce réseau est constitué, en 2016-2017, de 495 établissements scolaires homologués dont la liste est fixée par un arrêté annuel conjoint du ministre de l’Éducation nationale et du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères.

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La France est le pays qui dispose du plus important réseau scolaire au-delà de ses frontières. Ce réseau accompagne la mobilité croissante des familles françaises à l’international. Il est aussi un instrument de rayonnement grâce à l’accueil d’élèves de nationalités étrangères (60 % des effectifs). Il remplit ainsi une mission de scolarisation des enfants des familles françaises établies hors de France et de formation d’une partie de la jeunesse de 137 pays. »

 

« Au Maroc, le réseau d’enseignement français est un des plus denses au monde. Il scolarise plus de 34 000 élèves à la rentrée scolaire 2016 dans trente-huit établissements, couvrant les principales villes du Maroc à tous les niveaux d’enseignement. Ces établissements dépendent, pour vingt-deux d’entre eux, de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger (AEFE). L’Office Scolaire Universitaire et International (OSUI) compte neuf établissements. Enfin, quatre établissements partenaires privés à Casablanca et trois de l’Alliance Israélite Universelle (AIU), tous homologués par le ministère français de l’Éducation nationale, complètent le dispositif. »

(source : https://ma.ambafrance.org/Reseau-de-l-enseignement-francais)

(source : http://www.aefe.fr/aefe/operateur-du-ministere-des-affaires-etrangeres-et-du-developpement-international/systeme)

Les inscriptions sont gérées localement, par les établissements scolaires eux-mêmes, voire par les services de coopération et d’action culturelle (SCAC) des ambassades.

Pour en savoir plus

Groupe Facebook du Comité des parents Français du Maroc victimes des affectations du SCAC : www.facebook.com/groups/1339481462815090

Pour signer la pétition : https://www.change.org/p/le-ministre-des-affaires-étrangères-pour-le-droit-des-enfants-français-de-suivre-une-scolarité-dans-un-établissement-egd

Frais de scolarité au Maroc : https://www.efmaroc.org/fr/rentree/DroitsDeScolarite1617.pdf

 

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